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Voir, savoir, comprendre :
29 août 2006

Origines de l'homme : une histoire à réinventer

La paléoanthropologie, qui célèbre cette année 150 ans d'existence, est en révolution. Ces dix dernières années ont vu une accumulation de découvertes qui bouleversent les théories, chamboulent les modèles d'émergence de l'homme moderne, bousculent les idées reçues sur la prétendue unicité de notre espèce. L'étude des nouveaux fossiles - en Afrique de l'Ouest, en Europe, en Asie - mais aussi les progrès de la génétique ne dressent pas le portrait d'une humanité quittant l'animalité pour progresser linéairement vers Homo sapiens, mais celui d'une grande diversité d'espèces humaines ayant coexisté.

Le chemin parcouru, depuis un siècle et demi, est considérable. C'est le Français Boucher de Perthes qui, au XIXe siècle, fonde la Préhistoire en présentant à l'Académie des sciences un mémoire sur les silex taillés découverts en 1844 dans les terrasses de la Somme, près d'Abbeville. Il estime que ces silex, trouvés à côté de restes de mammouths et de rhinocéros, sont de main d'homme. Son mémoire est refusé, mais il persévère et est suivi par d'autres scientifiques français et étrangers.

En août 1856, un coup de pioche dans une carrière de la vallée de Neander en Allemagne, près de Düsseldorf, fait apparaître d'étranges ossements humains. Cette découverte, suivie par d'autres, met en évidence, pour la première fois, l'existence d'une autre humanité, celle d'Homo neanderthalensis. C'est, stricto sensu, la naissance de la paléoanthropologie. Les caractéristiques particulières de l'homme de Néandertal déplairont fortement aux paléontologues. Le Français Marcellin Boule en fera une brute - image qui colle encore à la peau de notre cousin. Quand, plus tard, on trouvera les restes anciens d'Homo sapiens - notre espèce -, beaucoup plus présentables, beaucoup formuleront, d'une certaine manière, leur soulagement.

Une reproduction en cire du visage de l'homme de Tautavel exposée au Musée préhistorique de Tautavel (sud de la France), en juin 1992. | GAMMA/RAPHAËL GAILLARDE

Une reproduction en cire du visage de l'homme de Tautavel
exposée au Musée préhistorique de Tautavel
(sud de la France), en juin 1992.

On remonte, aujourd'hui, plus loin. Les plus anciens représentants de l'espèce humaine ont été découverts en Afrique, tels Homo habilis (2 millions d'années) et Homo ergaster (1,9 million d'années). D'autres ont été mis au jour en Asie et en Géorgie (Homo georgicus, 1,8 million d'années). Actuellement, la plupart des paléoanthropologues s'accordent à penser qu'Homo ergaster, grand et taillé pour la course, a été à l'origine de la première migration de l'humanité à partir de l'Afrique. Toutefois, certains spécialistes, comme Robin Dennell et Wil Roebroeks supputent que les premiers grands explorateurs ont pu être les australopithèques, des préhumains qui ont vécu en Afrique entre 4,2 et 2,5 millions d'années. Ces hominidés marchaient debout et possédaient des mâchoires puissantes munies de dents robustes.

La grande interrogation actuelle concerne l'ancêtre commun hominidé-chimpanzé. On en ignore tout, faute de fossiles et on ne connaît pas la date de la séparation entre les deux espèces. Les paléoanthropologues s'accordent pour la fixer vers 7 millions d'années. Cela permet d'intégrer dans la lignée humaine des êtres très anciens tels Ardipithecus kadabba (5,2 à 5,8 millions d'années), découvert en Ethiopie par Yohannes Hailé-Sélassié ; Orrorin tugenensis (6 millions d'années) mis au jour au Kenya par Brigitte Senut et Thomas Pickford et Sahelanthropus tchadensis (Toumaï, 7 millions d'années), révélé par les équipes de Michel Brunet et considéré, malgré des contestations, comme appartenant au rameau humain.

Mais à la mi-2006, une étude génétique, réalisée par Nick Patterson et David Reich du Massachusetts Institute of Technology (Etats-Unis), et publiée dans la revue Nature, jette un pavé dans la mare en reculant la date de la spéciation entre hominidé et chimpanzé entre 6,3 et 5,4 millions d'années. De plus, estiment les chercheurs, elle ne s'est pas faite en une fois : après s'être séparées, les deux espèces se seraient retrouvées et hybridées, avant de se séparer définitivement.

L'hypothèse formulée par les scientifiques américains - qu'ils qualifient eux-mêmes de provocatrice - à partir de l'étude de 20 millions de paires appartenant au génome de l'homme, du chimpanzé, du gorille, de l'orang-outan et du macaque, pourrait remettre en cause l'appartenance des plus vieux préhumains au groupe des hominidés. Ce que contestent bien évidemment les paléoanthropologues et notamment Michel Brunet (Université de Poitiers, CNRS). Ce dernier estime qu'il s'agit de "jeux intellectuels", tandis que Jean-Jacques Jaeger, professeur de paléontologie à l'université de Poitiers, estime que l'hypothèse n'est pas démontrée et la qualifie de "géo-poésie".

En revanche, il est clair, selon lui, qu'"on ne sait pas à quoi ressemblaient ces êtres". "A chaque fois qu'on découvre un fossile nouveau très ancien, poursuit Jean-Jacques Jaeger, on met en évidence des mosaïques de caractères qu'on ne connaît pas." Par exemple, Toumaï, Orrorin et Ardipithecus forment un stade évolutif nouveau incluant la bipédie. Mais dans quel cadre celle-ci est-elle apparue ? "On prend aujourd'hui ce caractère comme une signature de l'hominisation. Mais c'est peut-être un attribut ancestral de quelques singes d'Afrique, que certains d'entre eux ont perdu", explique le scientifique.

Comme le souligne un autre chercheur, Marc Godinot, paléontologue et spécialiste de l'évolution des primates au Muséum national d'histoire naturelle, "une bipédie posturale dans les arbres a pu précéder une bipédie de marche, afin que le bassin puisse s'adapter". Car il fallait bien que les premiers hominidés aient la capacité de bien se déplacer debout avant de s'aventurer sur le sol de la savane.

"On ne pourra pas avancer sur les plus anciens représentants de la lignée humaine tant qu'on n'aura pas des fossiles datés de 10 et 5 millions d'années, soit avant et après le dernier ancêtre commun, avance Pascal Picq, maître de conférences au Collège de France. C'est le seul moyen de connaître l'évolution de différents caractères. La séparation entre les espèces a sans doute été plus récente et plus complexe qu'on ne le pense." Au passage, Pascal Picq égratigne les paléoanthropologues, auxquels il reproche d'avoir "une vision gradualiste de l'évolution humaine. Même si on trouve des fossiles de 8 à 9 millions d'années, je suis sûr qu'on les mettra dans la lignée humaine et non dans celle des grands singes".

Le plus ancien ancêtre commun hominidé-chimpanzé n'est pas le seul sujet de débat actuellement. On s'interroge toujours sur les causes de la disparition de l'homme de Néandertal, une espèce admirablement adaptée à son environnement glaciaire. Son déclin inexorable, il y a 30 000 ans, a-t-il été provoqué par la concurrence avec Homo sapiens, par la maladie, ou par tout autre chose ?

Une troisième interrogation concerne le petit homme découvert, en 2003, sur l'île de Florès en Indonésie. Vieux de 18 000 ans et doté d'une stature de 1 m, il possédait une capacité cérébrale de 380 à 400 cm3, plus proche de celle du chimpanzé ou de l'australopithèque que de celle de Lucy (3,2 millions d'années). En raison de ses caractéristiques, ses découvreurs l'ont classé dans une nouvelle espèce humaine : Homo floresiensis. Et certains paléoanthropologues pensent que ce petit être, issu d'un Homo erectus resté isolé pendant longtemps dans l'île, a vu sa taille diminuer, comme cela est arrivé pour de nombreuses espèces animales.

Mais cette explication est contestée par plusieurs études. La dernière en date, publiée le 21 août dans les Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) et réalisée par une équipe de chercheurs indonésiens, australiens et américains, estime que l'homme de Florès serait en réalité issu d'Homo sapiens pygmées, atteints de plusieurs anomalies, dont la microcéphalie.

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